Un Voleur by J.-H. Rosny Aîné

Un Voleur by J.-H. Rosny Aîné

Auteur:J.-H. Rosny Aîné [Aîné, J.-H. Rosny]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman
Publié: 2016-01-15T23:00:00+00:00


XII

Gilberte et Mme Rivelaines passaient les mois chauds dans un manoir normand rendu confortable par de multiples adaptations. Il avait été construit au temps des grandes pirateries par un écumeur dont la conscience supportait sans effort des meurtres féroces suivis de pillages fructueux.

Ce Cacus des océans se paya de belles lettres de noblesse, vécut en gentilhomme fastueux et trépassa muni des sacrements de l’Église. Il laissait des fils dont l’aîné porta le titre de comte. Le domaine resta dans la famille jusqu’à la Révolution, mais alors le seigneur, sujet loyal du roy, jugea expédient d’émigrer et mourut à peu près ruiné dans les Allemagnes.

Le domaine passa par plusieurs mains avant d’appartenir à un duc de l’Empire rallié à la monarchie après la déconfiture de Napoléon. En mal d’argent, le petit-fils de ce gentilhomme s’en défit contre les écus de Mme Rivelaines.

On y avait vue sur la mer qui, les jours de haute marée, envoyait quelque écume jusqu’à l’orée d’un herbage proche le jardin et le verger. À l’arrière, un parc assez farouche, où l’on ne contrariait guère la nature, conservait quelques arbres contemporains des Dragonnades.

Un quart d’heure d’automobile séparait le domaine de Deauville et de Trouville.

Quand Mme Rivelaines s’ennuyait, elle poussait jusqu’à l’une de ces deux plages. Sans avoir la passion du jeu, elle aimait risquer sa chance au casino ; toutefois, malgré son immense fortune, elle ne rivalisait point avec les princes du baccara. Son enjeu ne dépassait guère 200 à 500 louis et, dans toute une saison, elle ne perdait pas 50.000 francs.

Gilberte, qui avait le goût des bêtes, des plantes et de la mer, ne s’ennuyait jamais au manoir. Elle avait fondé de petites colonies d’oiseaux, attentive à ne pas mêler les espèces qui s’entendent mal. Des peuplades de rouges-gorges, de bouvreuils, de tarins, de mésanges, de chardonnerets, d’étourneaux, de fauvettes, de rossignols, de grives, de merles nichaient à demeure ou s’établissaient en passagers dans le parc et dans les jardins tandis que des nuées d’hirondelles se réfugiaient sous les toitures ou aux recoins des fenêtres.

Ces bestioles la connaissaient ou apprenaient à la connaître en un tournemain, parfois renseignées par leurs ascendants. Les plus familières entraient dans la demeure, les autres s’abattaient autour d’elle. Elle était la Sitâ du Râmâyana, très loin et très près de la nature, qu’elle aimait pour ses grâces et sa puissance créatrice, qu’elle redoutait pour sa férocité.

Mme Rivelaines professait une indifférence égale pour les sites et pour les créatures.

— Le chaos ! grognait-elle… une œuvre plus stupide d’être si souvent ingénieuse… La stupidité de la destruction, le gaspillage absurde, un désordre affreux, tous les maux pour si peu de bien : si j’étais croyante je me demanderais si ce n’est ici-bas l’enfer.

— Mais quels miracles !

— Des miracles idiots, des réussites saugrenues… Qu’est-ce qu’un monde où le fort avale le faible tout vivant, où un animal qui coûte tant d’efforts pour croître est anéanti d’un coup de griffe, un monde avec des cancers, des coliques néphrétiques, de la tuberculose, des névralgies faciales,



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